Muhammad - Une triple révolution, Article de Eric Geoffroy, Islamologue
 
Le monde des religions du mois de mars dédie son édition aux Hommes de Dieu révolutionnaires: Moïse, Bouddha, Jésus, Muhammad.
 
Le Coran témoigne d'une triple révolution, métaphysique, sociale et féministe. Si Muhammad a ainsi transformé les habitudes de son temps, ses successeurs se sont gardés de le suivre en tous points.
 
A lire les témoignages de personnalité en vue dans l'histoire de la pensée mondiale, Muhammad aurait véritablement fait oeuvre de révolutionnaire, rejoignant les rangs de ceux qui ont transformé en profondeur le destin de l'humanité. Voltaire évoque, dans une lettre de 1760, la "grande révolution commencée par Mahomet", et Goethe, emporté par son souffle poétique, déclare dans son Divan ouest-oriental: "C'est une oeuvre immense que Mahomed a accomplie, par le seul concept de l'Unique, il a soumit l'univers entier." Dans son Histoire de la Turquie, Lamartine, quant à lui, constate que "jamais homme n'accomplit en moins de temps une si immense et si durable révolution dans le monde."
 


L'islam ne prétend pas instaurer une nouvelle religion, mais restaurer le lien de l'homme avec le Dieu unique.
 
En dépit des apparences, l’islam à ses débuts ne prétend pas instaurer une nouvelle religion, mais restaurer le lien de l’homme avec le Dieu unique, et le pacte primordial scellé avec Adam, le premier prophète – lequel, à l’instar de nombreux personnages bibliques, joue un rôle de premier plan dans le Coran. or, malgré la longue procession des prophètes envoyés aux hommes, ceux-ci se sont de façon répétée fourvoyés dans le polythéisme, l’idolâtrie des médiateurs humains, le clientélisme religieux, etc. L’islam abolit donc toute forme de clergé, et permet un accès direct à Dieu pour le croyant – homme ou femme – devenu autonome et responsable. il s’agissait, selon le mot de Lamartine, de « rendre Dieu à l’homme et l’homme à Dieu ». L’Hégire – qui désigne l’émigration du Prophète de La Mecque, où il est en butte à une hostilité croissante en raison de sa prédication, vers Médine en 622 – marque en ce sens la «rupture» (hijra, en arabe) avec les mentalités aliénantes des anciens. Partant de cet événement, le nouveau calendrier islamique « resacralisait » l’histoire, dénaturée par l’oubli des hommes.
 
 
L'émancipation de la femme
 
Sur la question de la femme, Muhammad prolonge sur le plan humain les acquis coraniques. De bien de consommation que l’on pouvait razzier ou dont on pouvait hériter, la femme devient un sujet autonome, jouissant d’une égalité ontologique et religieuse avec l’homme (sourate 33, 35, par exemple). s’instaure entre eux une complémentarité harmonieuse selon laquelle « les croyants et les croyantes sont un soutien les uns pour les autres » (sourate 9, 71).


La femme hérite, peut divorcer, et bénéficie d’une totale indépendance financière ; la fille n’est plus en- terrée vivante à sa naissance – pratique relativement courante en ce temps – ; et la veuve a enfin un statut reconnu : voici quelques éléments qui constituent une « véritable révolution juridique », selon l’imam de Bordeaux Tareq oubrou. Les « pères », que le Coran et Muhammad fustigent, désignent le pouvoir patriarcal.

 

Or, pour l’intellectuelle marocaine Asma Lambaret, l’idée d’un «Dieu le Père – mâle [...] est antinomique avec le concept de l’unicité de l’islam ».


Le premier être humain « musulman », hormis Muhammad, est sa femme Khadija, qui le soutiendra dans les doutes et les épreuves des premiers temps de la révélation. Lui-même, s’adressant à ses compagnons hommes, les aurait incités à apprendre leur religion chez « cette petite rousse », désignant ainsi son épouse Aïcha. il transforme radicalement la nature du mariage, en condition- nant notamment sa validité au consentement de l’épouse. il met fin de la sorte à une pratique qui consistait à échanger une sœur ou une femme contre une autre épouse, moyennant de l’argent : la dot va désormais devenir le bien propre de la mariée. Celui qui affirmait : « Les femmes sont les proches sœurs des hommes » introduit une révolution dans la vie du couple. Au quotidien, Muham- mad montre l’exemple dans son foyer : « Il fait ce que chacun de vous fait à la maison, rapporte Aïcha. Il participe aux travaux ménagers. Souvent, il recoud ses vêtements et répare ses chaussures. »

 

On le crédite donc de cette parole : « Les meilleurs d’entre vous sont ceux qui traitent avec le plus d’égards leur femme, et je suis sur ce point le meilleur. » Dans le domaine religieux et cultuel, il va loin puisqu’il désigne une femme, Umm Waraqa, pour conduire la prière dans un quartier de Médine. Les polémiques musulmanes que suscite actuellement l’éventualité d’un imamat féminin trahissent le déni qu’opposent maints oulémas au message muhammadien...



il y aurait bien d’autres aspects de l’action «révolutionnaire » du Prophète à évoquer. On retiendra pour l’heure que les idéaux et pratiques d’émancipation de l’être humain promus par Muhammad ont vite été trahis : dès sa mort en ce qui concerne le statut de la femme, et dès l’avènement de la dynastie omeyyade (qui régna de 661 à 750), qui privilégia l’ethnicité arabe face à l’égalitarisme islamique.

 

Télécharger l'article de Eric Geoffroy en entier PDF