23.01.2015 | Par Paul Grossrieder, ancien directeur du CICR

 

En ce moment, le débat autour du Centre suisse islam et société (CSIS) se focalise exclusivement sur l'initiative contre l'ouverture de cet institut à l'Université de Fribourg. Or, le débat démocratique devrait également et surtout porter sur les questions de fond soulevées par la création du Centre, qui méritent un dialogue appronfondi. Aujourd'hui, la société suisse - tout comme l'ensemble des sociétés européennes - fait face à une mixité culturelle et religieuse croissante de ses composantes. A cela s'ajoute le grave problème de la radicalisation d'une petite minorité de musulmans de souche ou convertis, sans oublier celui que posent les partisans d'une manipulation politique de l'islam qui n'ont rien à voir avec cette religion, mais sont simplement des fanatiques et des assassins (cf. Daech).

 

Il ne sert à rien de fermer les yeux sur la réalité sociologique et démographique de notre population, jamais l'aveuglement n'ayant servi positivement la réflexion et l'action. Tout au contraire, il convient maintenant d'affronter ces réalités et de regarder en face les problèmes que nous posent les changements de société. Ce point de départ servira aussi de guide dans la lutte commune contre le terrorisme qui affecte une grande partie de la planète, notamment l'Europe. Le Centre islam et société peut être un précieux instrument dans le combat contre les menaces de sécurité qui pèsent sur la Suisse et ailleurs. Les musulmans ne constituent pas en soi le danger, il est banal de le dire. En revanche, se recroqueviller sur la société du passé, tant d'un côté que de l'autre, voilà qui peut aggraver la polarisation entre citoyens traditionnels d'inspiration chrétienne et citoyens de religion musulmane.

 

Une des manières de réduire les tensions possibles est une meilleure connaissance mutuelle et une formation sérieuse surtout pour celles et ceux qui sont appelés à fréquenter des musulmans (hôpitaux, administrations, écoles, prisons, etc.). Au plan universitaire, le CSIS ne recherche rien d'autre. Il serait intellectuellement pernicieux d'y voir une structure favorisant l'intrusion d'un islam extrémiste dans notre Alma Mater. Le Centre peut au contraire contribuer substantiellement à l'intégration des musulmans dans notre société, à une meilleure compréhension de l'identité religieuse de l'islam, tout en aidant à identifier les déviants uniquement motivés par une idéologie de mort.

 

Au fond, le Kulturkampf helvétique n'est pas si ancien; la leçon à tirer de sa résolution est de travailler à la recherche de compromis. De même que le christianisme - le catholicisme en particulier - a appris à vivre dans la société moderne, l'islam doit s'intégrer dans une Suisse multiculturelle et multireligieuse. Mais cet apprentissage ne se fera pas automatiquement, il sera long et difficile et le temps presse pour qu'on s'y attache dès maintenant. Les programmes scientifiques et de formation continue du Centre seront au service du dialogue de société indispensable à une coexistence pacifique entre citoyens de traditions et de convictions différentes. Sur le long terme, c'est la voie la plus indiquée.

 

Ce dialogue, il va de soi, ne peut prendre son point de départ dans une lutte entre futurs vainqueurs et vaincus. Il est des droits et des devoirs inscrits dans notre Constitution qui présupposent que tous les citoyens sont égaux, quelles que soient leur culture et leur croyance. Dans le débat actuel, les responsables politiques et religieux se doivent de travailler à la construction d'une société fribourgeoise et suisse qui reste harmonieuse dans sa diversité. Il y va de notre coexistence et de celle des générations de demain. A cet effet, le Centre islam et société peut être une aide précieuse.