15.10.2016 | PAR PASCAL FLEURY

ATTENTATS - Pour l’islamologue français Olivier Roy, les terroristes de Daech sont des nihilistes millénaristes, dont la mort est le cœur de leur projet.

«Nous aimons la mort, vous aimez la vie.» La phrase attribuée à Oussama ben Laden, et systématiquement reprise par les terroristes depuis lors, résume en soi l’objectif final de tout djihadiste: mourir. Mais attention, avertit Olivier Roy, qui publie cette semaine «Le djihad et la mort» (Editions du Seuil): «La mort du terroriste n’est pas une possibilité ou une conséquence malheureuse de son action, elle est au cœur de son projet.» L’islamologue français donnait une conférence jeudi à l’Université de Fribourg, à l’invitation de l’Institut Religioscope et avec le soutien du Centre suisse islam et société.


«En fait, le terrorisme n’est pas nouveau. Pas plus que le djihad, qui ponctue toute l’histoire de l’islam. Ce qui est nouveau, c’est que depuis 1995, avec Khaled Kelkal (réd: groupe islamique armé) jusqu’à l’attentat de Nice cette année, et jusqu’au suicide d’un Syrien cette semaine dans une prison allemande, pratiquement tous les terroristes islamistes se font tuer ou se tuent. Mais personne n’en tire les conséquences», martèle le politologue. Il rappelle que jusqu’alors, les terroristes faisaient tout pour sortir vivants de leurs attentats.


Autre constat surprenant: les jeunes qui se radicalisent en Occident ne le font plus dans une perspective politique précise. Ainsi, le jeune Afghan qui a attaqué un club homosexuel à Orlando n’a jamais mentionné l’Afghanistan dans ses revendications, alors qu’il aurait pu prétendre vouloir venger un chef taliban tué par un drone américain. Il se contente de faire allégeance à Daech. Même manque de justification chez les frères tchétchènes qui ont commis des attentats à la bombe au marathon de Boston.


«Ces terroristes s’inscrivent dans le djihad global», explique Olivier Roy. Une notion née dans les années 1980 en Afghanistan, alors que le djihad, de devoir collectif, devient individuel. Les djihadistes se veulent désormais détachés de toute solidarité nationale, tribale, territoriale ou familiale. Le terrorisme d’al-Qaïda applique largement ce concept. Le principe du djihad global est repris désormais par Daech, avec la création d’une «légion djihadiste» internationale qui combat en première ligne en Syrie. Et avec la proclamation du califat, qui transforme une succursale régionale d’al-Qaïda en leader du djihad mondial.


Un projet fédérateur qui séduit des jeunes occidentalisés, musulmans ou convertis: «Ils ne s’intéressent pas aux subtilités de la situation au Moyen-Orient, mais ce concept leur permet de se vivre comme l’avant-garde de l’oumma musulmane», note Olivier Roy dans son nouvel ouvrage.


Mais qui sont ces radicaux qui passent à l’acte terroriste? L’islamologue dresse leur profil, qui n’a guère changé en vingt ans: ce sont principalement des jeunes de la deuxième génération (60%) et des convertis (25%). Bien intégrés au début, ils sont tombés dans la petite délinquance et se sont radicalisés en prison. «Les francophones sont surreprésentés parmi les radicaux européens», précise le chercheur, qui observe aussi de nombreuses fratries parmi les djihadistes.

 

«Cliché salafiste»

 

Très souvent, leur passage vers le religieux se fait tardivement, en réaction à l’«impiété» de leurs parents déracinés, dans une société en manque de spiritualité. Le salafisme est alors souvent désigné comme «sas d’entrée» dans le djihadisme. Mais Olivier Roy s’inscrit en faux.


Les terroristes, observe-t-il, ne respectent pas les règles préconisées par le mouvement religieux de l’islam sunnite. «Bien sûr, quand ils passent à l’action, ils sont croyants. Ils pensent qu’ils vont aller au paradis! Mais leur action s’inscrit dans une vision nihiliste millénariste. On se suicide et tout est pardonné!»


En fait, vivre dans une société islamique au discours toujours plus apocalyptique n’intéresse pas les terroristes. «Les djihadistes ne sont pas des utopistes», assure le chercheur. «C’est la génération no future.»