19.12.2016 | Pascal Fleury

Le djihad mondial du wahhabisme

Puritain, austère, sectaire, fondamentaliste, ultraconservateur, conquérant... Le wahhabisme cumule les qualificatifs extrêmes de l’islam traditionnel. Mais quel est ce mouvement politico-religieux, né au XVIIIe siècle dans les sables de l’Arabie? Quels sont sa doctrine et son impact sur la vie quotidienne? Et comment se fait-il que ce courant, qui a inspiré al-Qaïda et le groupe Etat islamique, devienne toujours plus influent dans de nombreux pays de tradition musulmane? Historiens, politologues et anthropologues des religions livrent leurs réponses dans diverses publications. Tour d’horizon.

 

Le wahhabisme a été fondé par Muhammad Ibn Abd al-Wahhab, né vers 1703 dans le Najd, le plateau central de l’actuelle Arabie saoudite. Après avoir visité les lieux saints, il s’est mis à prêcher contre ce qu’il appelait le «polythéisme» de ses coreligionnaires, qui priaient non seulement Dieu, mais le prophète, les saints et les anges. Lui proclamait l’unicité exclusive de Dieu. Préconisant une vie austère libérée de toutes pratiques «superstitieuses», il réunit un premier noyau de partisans.

 

En 1744, il a convaincu l’émir de la ville de Dariya, Muhammad Ibn Saoud, de se rallier à sa doctrine, scellant une union sacrée existant encore aujourd’hui. Porté par l’enthousiasme du réformateur, l’émir fonda le premier Etat saoudien, et se lança dans un djihad contre les tribus voisines dans la péninsule. Son fils poursuivit la conquête jusque dans les faubourgs chiites de Bagdad. Repoussée continuellement par les Ottomans durant le XIXe siècle et en proie à des guerres de clans, la famille Saoud gagna finalement son territoire actuel en 1932, avec la fondation du royaume d’Arabie saoudite.

 

«Qu’est-ce que le wahhabisme? Le protestantisme et même le puritanisme de l’islam!», observait, en 1814, l’orientaliste bâlois Jean Louis Burckhardt, qui rédigea un « Essai sur l’histoire des wahhabites » lors de ses voyages en Arabie. Leur capitale étant la «Genève du protestantisme mahométan», renchérit, en 1854, l’aventurier Charles Didier. Quant à la baronne lady Anne Blunt, qui a découvert, en 1878, le «berceau de la race arabe» avec son mari diplomate, elle parlait du fondateur comme du «Luther du mahométisme». En fait, cet «islam réformé» prônait simplement un retour aux sources coraniques. Abd al-Wahhab démentit d’ailleurs fonder une nouvelle secte. Estimant qu’«il n’est de dieu que Dieu», il nomma sa doctrine «unitarisme».

 

Le wahhabisme se distingue par sa lecture littérale de l’islam. Il considère que l’Etat doit fonctionner exclusivement selon la loi religieuse, la charia. Toute «innovation blâmable» en théologie est réprimée. Alcool, tabac, jeux de hasard, magie, vêtements parés d’or ou de soie, et même pierres tombales sont interdits. La vénération des saints et toutes les dévotions populaires sont aussi rejetées. Le salafisme, né au XIXe siècle en Egypte, est très proche du wahhabisme, s’attachant aux croyances et pratiques orthodoxes des «salaf», les «purs» des premiers temps de l’islam.

 

Lorsque Abdelaziz Ibn Abderrahmane al-Saoud devint roi d’Arabie saoudite, en 1932, après avoir reconquis la péninsule avec le soutien de la milice islamique Ikhwan («frères») et le blanc-seing des Britanniques, les oulémas lui firent allégeance. La doctrine wahhabite était alors déjà présente dans toute la péninsule. Elle va se diffuser internationalement dès 1945, avec le «pacte pétrole contre protection», signé avec le président américain Franklin Delano Roosevelt.

 

Grâce à l’apport de milliards de pétrodollars, de nombreuses mosquées furent construites à travers la planète, le prosélytisme passant aussi par l’aide humanitaire, les écoles coraniques, les livres religieux ou les chaînes satellitaires. Depuis sa création, en 1961, l’Université islamique de Médine a produit plusieurs dizaines de milliers de religieux destinés à «porter la bonne nouvelle» au monde entier. L’Arabie saoudite a adopté «une politique califale qui ne dit pas son nom», commente le politologue Nabil Mouline.

 

Les pétrodollars servent aussi à soutenir des mouvements armés, moudjahidin, palestiniens, bosniaques, tchétchènes... Avec, parfois, de sévères retours de manivelle. Ainsi, le Saoudien Oussama Ben Laden, engagé en Afghanistan puis écarté lors de la seconde guerre du Golfe, est devenu l’un des pires ennemis de l’Arabie saoudite pro-américaine.

 

Et il y a cette jeunesse déboussolée, qui se radicalise parfois dans les centres islamiques sponsorisés par des fonds saoudiens et finit par s’embrigader dans al-Qaïda ou l’EI, deux organisations terroristes qui s’inspirent du wahhabisme. Pas étonnant, alors, que l’Arabie saoudite soit accusée de double jeu...

 

• Hamadi Redissi, «Une histoire du wahhabisme – Comment l’islam sectaire est devenu l’islam», éditions du Seuil, 2016.

• Malek Chebel, «Changer l’islam», éditions Albin Michel, 2013.

• Yves Besson, «La fondation du royaume d’Arabie saoudite», éditions des Trois continents, 1980.

• Nabil Mouline, « Le Califat – Histoire politique de l’islam », Flammarion, 2016.

 

Depuis la mort du prophète, les lieux saints de l’islam se sont trouvés sous dominations diverses, avec suprématie ottomane dès le XVIe siècle. En 1802, les wahhabites ont pris La Mecque et Médine, portant un rude coup au prestige des Turcs.

 

Les «réformateurs» ont été chassés après une décennie, mais sont revenus en force en 1924, sous le commandement d’Abdelaziz al-Saoud, le futur roi d’Arabie saoudite.

 

Depuis lors, les lieux saints vivent à l’heure du wahhabisme: les pratiques non orthodoxes ont été abolies et une grande partie du patrimoine religieux a été détruite par crainte d’idolâtrie. Les pèlerins des obédiences minoritaires restent tolérés.

 

Désormais, c’est le «calife» de l’Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, qui rêve de s’emparer de La Mecque. Il a appelé à «allumer les volcans du djihad en Arabie saoudite» et plusieurs attentats ont déjà secoué le pays.