08.01.2017 | Par Bernadette Sauvaget

Les confréries soufies sortent de leur réserve

Près de 700 fidèles se sont retrouvés samedi à Paris pour le grand Mawlid, dans le cadre d'un mouvement qui séduit de plus en plus de musulmans.

 

Discrètes, jusqu’à se faire oublier. Les confréries soufies (le courant spirituel de l’islam) n’aiment guère se mettre en avant. «C’est dans l’ADN du soufisme, qui privilégie l’intériorité et le combat contre l’ego», plaide Ihsane, l’un des représentants, en France, de la confrérie Boutchichiyya, d’origine marocaine. Mais le vent tourne. Face à la montée du radicalisme, le soufisme sort peu à peu de sa réserve. A Paris, le Rassemblement soufi de France organisait, samedi soir, le grand Mawlid de Paris, célébrant la naissance du prophète de l’islam, Mahomet. En se jouant d'ailleurs un peu des dates… Officiellement, la fête de Mawlid avait lieu le 12 décembre. «Mais c’était à la veille des vacances de fin d’année», explique les organisateurs de la manifestation organisée à l’Espace Reuilly, dans le XIIarrondissement.

 

Photo Martin Colombet. HansLucas

 

Plus de 700 personnes, majoritairement âgés de moins de quarante ans, sont venus écouter quelques conférences, mais surtout des groupes de chants soufis. L’ambiance est détendue, festive. «C’est cela le vrai islam», répètent, à l’envi, plusieurs personnes dans le public. «Nous n’avions pas rassemblé autant de monde les années précédentes», reconnaît volontiers Younès, de la confrérie Alawiyya, d’origine algérienne, l’une des plus solidement implantée dans l’Hexagone. Une preuve de la montée en puissance de ce courant. «Il y a un intérêt de plus en plus marqué pour le soufisme, explique Younès. Nous le voyons depuis les attentats terroristes. Les musulmans cherchent d’autres manières d’envisager l’islam.» En 2016, le grand Mawlid de Paris avait lieu, un an tout juste après l’attaque meurtrière contre Charlie Hebdo. «C’était très présent dans les esprits, se souvient l’un des participants. Et il y a eu un certain nombre d’appels pour que le soufisme s’engage davantage dans la lutte contre la radicalisation.»

 

«L'ennemi de personne»

 

Fêter le Mawlid, c’est aussi un pied de nez aux salafistes. Cette fête, selon ces derniers, n’appartient pas au corpus de l’islam. Se présentant comme les défenseurs de la plus stricte orthodoxie, les salafistes l’interdisent. Pour l’heure, les relations entre salafistes et confréries soufies sont exécrables, les premiers considérant quasiment les secondes comme «hérétiques». Et partout dans le monde, le soufisme est l’une des cibles des groupes jihadistes. Au Mali, en Syrie ou en Irak, ils ont détruit, au fil de leurs conquêtes, de grands mausolées soufis. Soucieux de ne pas paraître belliqueux, on affirme, au sein du soufisme, «n’être l’ennemi de personne».

 

Reste que dans l’histoire de l’islam, les confréries soufies ont souvent suscité la méfiance, surtout des pouvoirs en place. Ce fut notamment le cas dans les années qui ont suivi l’indépendance de l’Algérie. Dès lors, les confréries ont trouvé en Occident des terres d’accueil moins hostiles, ce qui explique en partie leur développement en dehors du monde musulman, dans la deuxième partie du XXe siècle. En France, une petite dizaine de confréries rassemblent plusieurs milliers d’adeptes. Parmi eux, un nombre assez conséquent de «convertis». Récemment, une maison du soufisme s’est ouverte à Saint-Ouen, aux portes de Paris, sous l’égide de la confrérie Naqshbandiyya, d’origine d’Asie centrale, mais dont le maître spirituel réside à Chypre.

 

«Nous souhaitons aussi défendre un patrimoine menacé», plaide Carole Latifa Ameer, de la confrérie Chishtiyya, l’une des chevilles ouvrières de l’organisation du grand Mawlid de Paris. Sur scène, à l’Espace Reuilly, elle rappelle qu’en juin 2016, un très célèbre chanteur soufi Amjad Sabri a été assassiné à Karachi au Pakistan. L’agression a été qualifiée, sur place, «d’acte terroriste» par la police. En présentant, le groupe de musique Shuaib Mushtaq Qawwal, des jeunes artistes d’origine pakistanaise vivant en France, Carole Latifa Ameer encourage, elle, les nouvelles générations «à s’investir dans les arts soufis».

 

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