13.12.2016 | Par Leïla Boukli

Un homme de médiation, d’action et de paix | Khaled Bentounes

Par un bel après-midi de cet été 2016, Khaled Bentounes, avec qui nous avons rendez-vous, nous rejoint avec la simplicité des grands, dans l’un des salons de l’hôtel El Djazair. Rasé de près, en tenue de ville, un large sourire aux lèvres, rien dans son aspect extérieur ne laisse deviner que cet homme, né en 1949 à Mostaganem, est le 46e maître spirituel de la confrérie soufie Al-Alawiya, si ce n’est la sérénité qui émane de lui.

 

A mesure que nous avançons dans la discussion, nous découvrons un cheikh moderne, de grande culture, à l’esprit libéral, animé d’une foi inébranlable en l’avenir et dans le progrès de l’humanité. A une période où le radicalisme bat son plein, nous ne manquons pas de lui demander si nous serons capables un jour d’élaborer une vision enfin adulte de nos appartenances, de nos croyances, de nos différences et du destin de la planète, qui nous est commune. L’humanité aurait-elle atteint son seuil d’incompétence morale ? lui demande-t-on. Une discussion s’ensuit. C’est alors que Cheikh Bentounès aborde le 1er Sommet mondial sur l’humanité qui s’est tenu les 23 et 24 mai 2016 à Istanbul. Trois propositions appuyées par l’Algérie ont été adoptées, dit-il.


Donner à l’humanité une personnalité juridique, une réalité physique ; la personne humaine et l’humanité sont une ; il faut que d’ici 2030, chaque Etat incorpore dans ses programmes la culture de la paix. Le Canada, nous apprend-il, a été le premier pays à avoir développé des logiciels et des méthodes d’enseignement dans ce sens.

 

Nous parlons aussi du passage de Cervantès à Alger et de l’héritage espagnol, présent notamment en Oranie. On ne manque pas d’évoquer l’expérience de tolérance donnée à l’époque par l’Espagne musulmane et Cheikh Bentounes se réjouit de l’initiative espagnole de commémorer le 900e anniversaire de Choaib Abou Madyane El Andaloussi, Sidi Boumediene pour les Algériens, fondateur de la principale source initiatique du soufisme du Maghreb et de l’Andalousie, à Cantillana commune située dans la région de Séville où il est né en 1126. Sidi Boumediene qui a aussi vécu à Bejaia de 1160 à1198, meurt en arrivant en vue de Tlemcen et devient le saint patron de la ville.

 

Nous évoquons Ibn El Arabi, autre Andalou musulman d’origine arabe, né à Murcie, comme lui théologien, poète, juriste, métaphysicien et maître arabo-andalou de taçawuff. Ibn Arabi, pivot de la pensée métaphysique de l’Islam, est l’un des plus grands penseurs du «wahdat al-wujud», l’unicité de l’être. Son œuvre immense considérée comme le sommet de l’ésotérisme aurait influencé Dante dans la Divine comédie. Ibn El Arabi qualifie Sidi Boumediene de « Maître des maîtres ».

 

Parlant du rôle des femmes, on en vient à évoquer Rabia El Adawiyya, esclave affranchie, figure majeure de la spiritualité soufie. Cette mystique, née à Bassora, chantre de l’amour divin disait, un seau dans chaque main, l’un rempli d’eau, l’autre de feu :
« Je m’en vais pour incendier le paradis et éteindre l’enfer, afin que ces deux voiles disparaissent complètement aux yeux des pèlerins de la voie, que leur seul but soit la contemplation de la face de Dieu ». Pour les soufis, cette femme est connue comme « la mère du bien ». On raconte qu’elle fermait ses volets au printemps, sans contempler les fleurs, préférant se perdre dans la contemplation de Celui qui les avait créées.

 

On en vient à parler de Jallal Din Rumi, mystique persan engagé, poète passionné, avocat de l’amour, initiateur de la danse d’extase des derviches tourneurs, une des principales confréries soufies, qu’il fonde dans la ville de Konya en Turquie. Rumi disait à propos des fleurs :  
« Le jardin et les fleurs sont à l’intérieur de nous, dans le cœur ! » Je me souviens avoir lu que Rumi plaidait pour un jihad orienté vers l’intérieur, dont le but était de lutter contre son propre ego, et de le vaincre. Belle idée, toutefois non partagée par l’ensemble des mortels, déjà au XIIIe siècle.
Quelque peu rêveur nous poursuivons.


Cheikh Bentounes nous apprend qu’afin de promouvoir la culture de la paix et du vivre-ensemble, AISA, ONG internationale, la Fondation méditerranéenne du développement durable (Djanatu Al Arif) et le Programme MED 21 ont décidé de créer un « Prix de la Paix » qui porte le nom d’une grande personnalité de l’histoire algérienne, en l’occurrence l’Emir Abdelkader. Ce prix récompensera désormais, le 21 septembre de chaque année, trois personnalités distinguées en trois catégories : la Rive Nord, la Rive Sud et le Reste du Monde.

 

Cette année, le Prix de la Rive Nord a été décerné à l’ancien directeur général de l’Unesco, Federico Mayor (Espagne). Pour la Rive Sud, le Prix est revenu à Lakhdar Brahimi (Algérie), ancien ministre, représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, médiateur international de l’ONU. Quant au troisième lauréat pour la catégorie « Reste du Monde », le bureau exécutif a opté pour Raymond Chrétien (Canada), ambassadeur honoraire du Canada, président de l’Observatoire international des maires sur le vivre-ensemble. La remise des prix se fera, ajoute Cheikh Bentounes, dans le domaine de la Fondation Djanatu Al Arif, situé à Mostaganem, en présence d’un parterre de personnalités politiques, diplomatiques et scientifiques venues du monde entier, et de plusieurs personnalités, dont le nom ou la profession a un rapport avec l’Emir Abdelkader. Citons, entre autres, Idriss El Djazairi, arrière petit-fils de l’Emir Abdelkader, Joshua Robert Pope, maire de la ville d’El Kader aux USA ainsi que plusieurs chercheurs dont les travaux ont été centrés sur la personnalité de l’Emir.

Avant de répondre à nos questions Cheikh Bentounès confiant que ce Prix Emir Abdelkader apportera un plus à la réalisation de son souhait du mieux « vivre ensemble », nous informe de son rendez vous avec le Président de l’Assemblée générale de l’ONU Peter Thomson pour défendre la 18e recommandation du Congrès international féminin pour une culture de la paix, tenu à Oran en 2014.

 

Dans cette recommandation, il est instamment demandé aux Nations unies de décréter une « Journée mondiale du vivre ensemble » afin d’unir et de concilier la famille humaine dans sa diversité et d’agrandir le cercle de la fraternité pour un monde de justice et de solidarité.


Riche d’un nouvel enseignement, convaincue d’avoir côtoyé un homme au destin singulier, nous ressortons de cet entretien avec l’envie d’en savoir un peu plus sur la tariqa soufie.


Leila Boukli