25.01.2017

Zohra, les musiciennes de l'espoir

L’orchestre de trente jeunes filles afghanes a clôturé les manifestations du WEF à Davos. Le Zhora réalise, avec neuf membres de l’Orchestre du Collège de Genève, une première tournée emblématique. Répétitions à Genève pour le dernier concert public suisse, avant l’Allemagne.

 

Il faut les voir sautiller gaiement en rejoignant le bus. Les jeunes musiciennes afghanes portent encore leur costume de lumière, si coloré, scintillant et aérien. Qu’importe le gel, et la buée qui accompagne leurs cris de joie. Les petites flammes de couleurs bondissantes lancent des baisers à leurs collègues restés dans le Centre des arts de l’Ecole Internationale. Avant de disparaître dans le froid.

 

 

A travers les fenêtres, neuf musiciens de l’Orchestre du Collège de Genève les suivent du regard en agitant les bras. «C’est dur de penser qu’on ne les reverra plus dès jeudi. Elles vont nous manquer!» avouent les jeunes étudiants, après les dernières répétitions et concerts pédagogiques du jour.

 

«La musique était mal vue par le régime et la population»

 

Matthieu et Niels sont à l’alto, Lisa et Séraphine au violoncelle, Claire, Sydney, Nina et Amandine au violon, et Richard à la trompette. Ils ont été choisis, parmi la centaine de membres de la formation genevoise, pour venir soutenir la partie suisse de la première tournée européenne du Zhora.

 

Le Zhora? Le tout premier orchestre de musiciennes classiques et traditionnelles, créé il y a deux ans et demi, et issu de l’Afghanistan National Institute of Music (ANIM). Cette école, fondée à Kaboul en 2010 par Ahmad Sarmast, est exemplaire. Car l’homme, parti faire ses études musicales à Moscou et en Australie pendant le régime taliban, retourne en 1998 dans son pays pour y semer des graines d’espoir. Au prix de sa vie puisqu’il se trouve grièvement blessé en 2014 lors d’un attentat contre son projet. Mais rien ne l’arrête.

 

«La musique était une discipline très mal vue par le régime et la population. Elle est encore synonyme de danger dans la mentalité de beaucoup de gens», souligne le fondateur. «Quant aux femmes, elles ne peuvent encore pas pratiquer d’instrument aisément et se voient majoritairement confinées à un rôle ménager. Aujourd’hui, le gouvernement soutient et apprécie notre tournée en Suisse et en Allemagne. Les autorités se rendent compte que l’orchestre est un ambassadeur puissant.»

 

Mais la réalité féminine est toujours difficile. «Ces jeunes filles doivent se battre au quotidien pour faire de la musique, et elles subissent des attaques constantes», rappelle Ahmed Sarmast. Ce qui le motive? «Je voudrais que les femmes de mon pays bénéficient de la même indépendance que mon épouse et mes filles. Et que le Zhora représente la diversité, le dialogue entre les communautés et la liberté d’expression en défendant à sa façon les droits de l’Homme.» Et de la femme…

 

Un message pacifiste et rassembleur

 

Parmi les différents ensembles de l’ANIM (chœur, orchestre de jeunes, musique traditionnelle, ensemble de vents, de musique vocale religieuse, sitar et autres instruments ethnologiques…), le Zhora est donc devenu le fer de lance de l’institut. Parce que jeune, féminin et mélangeant les styles, les cultures et les instruments. Son message pacifiste et rassembleur n’a pas échappé aux participants du WEF, qui ont ovationné le concert de clôture à Davos. Un moment impressionnant pour tous.

 

L’équipe qui a monté ce projet a œuvré main dans la main dès la première seconde. Nico Daswani, responsable culturel du WEF, Philippe Genevay, directeur administratif de l’Orchestre du Collège de Genève et responsable de la musique au DIP et Isabelle Muller, directrice du Centre des arts de l’Ecole Internationale ont rassemblé leurs énergies. Qui sont énormes.

 

Pour le premier, soutenir le courage du fondateur comme des musiciennes du Zhora représente l’exemplarité d’un véritable «globally responsible leadership», en lien avec les sujets abordés lors du WEF. Quant au langage universel de la musique, «il ne peut que renforcer le message fédérateur du projet».

 

Pour le second, «l’échange et la collaboration entre jeunes musiciens de deux cultures si différentes est particulièrement porteur et bénéfique, tant au niveau humain que musical.» L’expérience croisée change leur regard aux autres et leur rapport à leur propre pratique instrumentale. Chacun apporte à l’autre.

 

«Du côté de l’OdcG, les étudiants aident à l’aspect technique des arrangements d’œuvres occidentales. Du côté du Zhora, les jeunes filles apportent la fluidité rythmique et mélodique de la musique de leur pays, inhabituelle chez nous. Et ils atteignent ensemble une incroyable cohésion.»

 

Pour la dernière base du trio organisationnel, l’accueil du Zhora dans la salle de concert de la célèbre école privée genevoise correspond à la mission de l’institution. «C’est une occasion idéale de proposer aux élèves des pistes de réflexion et de les ouvrir au monde. Avec la découverte d’une autre culture, la réalité de ces jeunes musiciennes, leur talent, leur implication artistique et leur volonté de mener à bien leur projet coûte que coûte peut bousculer les idées reçues des élèves leur faire prendre conscience de leur confort de vie. Cela répond parfaitement à notre vocation pédagogique.»

 

Dans la salle de repos des musiciens, les neuf Genevois garderont «un souvenir inoubliable» de cette expérience, qui a enrichi leur jeu. «On n’arrivait pas à suivre les rythmes irréguliers de leur musique, sur les partitions reçues en décembre. Mais dès les premières notes avec elles, tout est devenu naturel», souligne Lisa.

 

«C’est très agréable de sentir qu’on peut aussi leur être utile, dans la cohésion, les attaques, ou certains passages techniques», révèle Matthieu.

 

Etait-ce compliqué de collaborer avec elles en tant que garçon? «Je le craignais au début», avoue Richard. «Mais à aucun moment on n’asenti de différence avec les filles, qui sont joueuses et étaient ravies de pouvoir se comporter librement.»

 

Du côté des trente musiciennes afghanes, l’aventure est tout aussi mémorable. Souvent installées dans un orphelinat qui les accueille pendant leurs études, soit parce que leurs provinces sont éloignées, soit parce qu’elles sont séparées de leurs parents pour diverses raisons, la plupart d’entre elles ont découvert l’Europe.

 

Des êtres humains, sans barrières de genre, religion ou niveau social

 

Âgées de quatorze à vinft ans, ces jeunes filles sont les premières à apprendre la musique en Afghanistan depuis trois décennies et à la pratiquer en orchestre sous la baguette de deux cheffes. Toutes ont découvert les instruments grâce à l’ANIM. Negin a 19 ans. Après le piano, elle a pris la baguette, comme Zharifa qui, après le violon, a aussi choisi la direction. Toutes deux aiment avoir un rôle prépondérant devant l’orchestre.

 

Madina est la cadette de l’orchestre. Mais son tempérament et son don pour le hautbois marquent déjà tout le monde. Cela fait neuf ans qu’elle n’a pas vu son père parti soigner sa maladie des reins en Iran. Et trois ans pour sa mère qui est allée le rejoindre. Tous deux n’ont pas pu retourner au pays.

 

La blonde Nazirah, violoncelliste, vient de la région montagneuse du Nouristan où les habitants ont les cheveux et les yeux clairs. Elle réside aussi à l’orphelinat et a été séduite par l’instrument découvert grâce à une professeur qui lui ressemblait. A chacune son histoire, si touchante…

 

Ce que ces musiciennes retiendront de leur aventure en Suisse avant de partir pour Berlin et Weimar? «Ici, on a pu se connaître comme des êtres humains, sans barrière de genre, de religion ou de niveau social. Et on s’est senties libres partout. Les amitiés qui se sont nouées à Genève sont fortes et on sera très tristes de se quitter.»