Hautes Fréquences, 17 septembre 2017
Tareq Oubrou: une parole claire face à la peur de lʹislam
Le comité dʹinitiative anti-burqa est arrivé, le mercredi 13 septembre 2017, au nombre de signatures requises. Elles ont été remises vendredi à la Chancellerie fédérale. Selon une récente étude européenne, les musulmans en Europe sont intégrés, mais pas acceptés.
Face à cette double actualité qui révèle un islam anxiogène, Gabrielle Desarzens a tendu son micro à Tareq Oubrou, Imam de Bordeaux, qui était de passage à Genève. Né au Maroc, son parcours personnel et ses réflexions lʹont amené à militer pour un islam "de discrétion".
Extrait de l'intervention
« Il y a un choc des mentalités. Le musulman dans l’imaginaire occidental reste le sarrasin du Moyen Âge. L’hostilité catholique aujourd’hui s’exprime dans une hostilité laïque. On a gardé toujours cette image du musulman adversaire, conquérant avec l’épée. Il faut briser ces images pour permettre à nos concitoyens d’accepeter les musulmans qui sont désormais des musulmans occidentaux. Le monde a changé qu’on le veuille ou non. L’Occident habite l’Orient. L’Orient habite l’Occident. Ça c’est un changement de mentalité qu’il faudra opérer. Sinon il n’y aura pas de salut public.
Les gens ne sont pas racistes, mais ils ont peur. J’interprète cela comme une peur qui est due à une ignorance. Je ne pense pas que l’Occident est raciste. Les gens ont beaucoup plus peur par ignorance que par hostilité particulière aux musulmans.
Les musulmans pensent que la pratique c’est mettre le foulard, la barbe, non. La pratique c’est être gentil, être bon, être serviable, respecter les engagements, être excellent, compétent. Ce sont des valeurs islamiques également. Pratiquer c’est quoi? Le musulman parfois insiste sur des pratiques de rupture. Il ne faut pas saluer une femme parce que c’est une femme, parce que la mixité. Ce sont des pratiques néfastes. D’abord pour les musulmans et pour l’islam en tant que tel parce que ca isole le musulman du reste du monde. On ne peut pas venir et débarquer avec des pratiques et les imposer à la société majoritaire. C’est à la minorité de s’adapter à la majorité et non pas le contraire.
L’erreur qu’on a commise depuis les années 80, en tant qu’imam et en tant que théologien, c’est qu’on a négocié notre présence en terme de droit. C’est une erreur fatale. Dans une civilisation, ce qui est le plus normatif c’est la culture et pas le droit. Les musulmans doivent négocier leur visibilité en terme de culture. On doit prendre en considération la culture occidentale, les mentalités, les perceptions de l’autre dans notre visiblité. Entre le droit et les mentalité dans une société il peut y avoir des écarts. Le droit donne le droit aux musulmans de pratiquer tant qu’ils ne troublent pas l’ordre public. Par contre la mentalité occidentale qui structure la culture, elle a peur de cette visibilité. Donc les musulmans doivent prendre en considération plus les tripes du concitoyen que le droit, parce que dans une culture on peut changer le droit. Il est dans l’intérêt des musulmans, de leur visibilité, de prendre en considération la culture ambiante parce ce qui gère les rapports entre les hommes et les femmes c’est pas le droit, c’est les relations humaines. Dans les relations humaines il y a les mentalités, les perceptions, parfois les préjugés. Donc les musulmans doivent prendre en considération cet aspect émotionnel, des mentalités dans l’économie de leur visibilité c’est ce que j’appelle une discrétion. Pas une invisibilité totale, mais une discrétion.
J’ai dû penser contre moi-même, c’est le propre de celui qui cherche la Vérité. Mais cette vérité éclate. Pourquoi on se focalise sur le foulard? J’ai dû chercher dans les classiques. J’ai vérifié que cela ne repose pas sur vraiment quelque chose d’incontestable même pour ceux qui la considère comme une pratique obligatoire, c’est une obligation très mineure. Je pense que ce n’est pas une obligation formelle. La pudeur ne se résume pas à la couverture des cheveux. C’est une attitude intérieure dans le regard, dans la parole, dans la politesse, etc. Et réduire le corps de la femme à un tissu, vraiment c’est indigne pour la femme. Je voudrais déplacer le débat sur l’islam du foulard à la spiritualité.
On donne l'impression qu’on est une religion de la loi. C’est presque une vision judaique, avec tous mes respects pour la religion judaique. Nous sommes dans cette théologie d’allégement de la loi et un retour à la tradition abrahamique qui était simple et spontanée.
En vérité le foulard cristallise une tension entre l’Occident et l’Orient. C’est ridicule. L’islam est venu pour toute l’humanité. Pourquoi faire de l’islam une frontière ou un bouclier identitariste de protection? Dieu de l’islam c’est Dieu des mondes. Ce n’est pas le Dieu d’un peuple. Donc il est disponible par sa miséricorde. Il faut que l’islam soit un pont et non pas une frontière.
La majorité des musulmans pense comme cela, sauf que, aujourd’hui ce sont les minorités qui font l’histoire."