14.12.2017 | Par le Prof. Antonio Loprieno
A Fribourg, un centre d’expertise pour mieux inclure l’islam
OPINION. Le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) n’est pas le défenseur d’une vision obscurantiste de la religion, mais il est au contraire un laboratoire de l’innovation, et ce à des coûts très contenus, explique le président de sa commission consultative, Antonio Loprieno, en réponse aux critiques de Mireille Vallette
Dans «Le Temps» du 17 novembre, Mireille Vallette interpelle le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’Université de Fribourg. Elle lui reproche de favoriser les propagateurs de l’islam et de ne pas distinguer la science et la foi. Il s’agit de deux erreurs. Clarification: l’expertise scientifique du CSIS ne répond pas à un besoin initial des communautés musulmanes. Au contraire, son défi principal est d’atteindre les leaders communautaires et contribuer ainsi à leur intégration sociale et culturelle.
Le CSIS trouve son origine dans un double questionnement: de la communauté académique suisse et des professionnels de terrain, qui relèvent la nécessité d’inclure l’islam dans la réflexion universitaire et l’innovation sociale. Madame Vallette a une vision épisodique de l’islam et elle ignore que la religion transcende le choix privé.
Les statistiques récentes du Pew research forum (11.2017) montrent que la population musulmane dans notre pays va augmenter dans les prochaines décennies. Il paraît ainsi plus raisonnable d’intégrer les forces religieuses de bonne volonté dans la réflexion sur leur participation sociale et de questionner leur capacité à innover que de tolérer des espaces communautaristes qui représenteraient la conséquence inévitable d’une marginalisation sociale et culturelle.
Distinction entre science et foi
En ce qui concerne la distinction entre science et foi: Mireille Vallette nous rappelle à juste titre que la recherche scientifique représente la pierre de touche d’un institut universitaire. En effet, sans adhésion aux canons scientifiques, le CSIS perdrait sa légitimité. J’irais même plus loin: pour notre société de la connaissance, le transfert du savoir entre université et public est crucial. Dans un pays où la main publique finance plus de 80% d’un budget universitaire, la confiance des citoyens dans la recherche est un pilier du contrat social.
"L’image du CSIS dessinée par Mireille Vallette rappelle plus une caricature scientiste qu’une analyse scientifique."
Mais la science est une chose, le scientisme en est une autre. L’histoire nous montre que la méthode scientifique ne peut pas être mobilisée pour interpréter tous les domaines de la vie, et surtout que la «science» ne peut pas être réduite à une vision expérimentale. L’interprétation du Coran en est un exemple: reconstruire l’historicité d’un texte à la lumière des sciences telles que l’archéologie et la philologique de l’Arabie au VIIe siècle est une démarche tout aussi scientifique que l’étude critique de la réception de ce texte par la communauté qui s’en inspire. Les deux approches exigent des compétences différentes, mais dans une université sensible aux développements de la science et ouverte à la transformation sociale, elles méritent la même confiance. L’image du CSIS dessinée par Mireille Vallette rappelle plus une caricature scientiste qu’une analyse scientifique.
Laboratoire d’innovation
Mireille Vallette se demande aussi si c’est le rôle de l’Etat de financer des modes d’enseignement ou de service social pour les musulmans. Bien évidemment, ceci n’est pas le premier rôle de l’Etat, comme ne le sont ni l’organisation d’une campagne de fouilles en Egypte, ni le soutien financier de la valorisation d’une synthèse de protéines – deux procédés qui pourtant relèvent de financements tout aussi étatiques sans qu’aucun ne s’y oppose. En revanche, dans un contexte européen qui connaît le primat de la main publique dans le développement de l’enseignement supérieur, le rôle de l’Etat est justement d’assurer aux universités, en l’occurrence à l’Université de Fribourg, l’autonomie qui lui permet de destiner une partie minime de son budget au CSIS, donc à l’étude scientifique et à l’intégration culturelle d’une des grandes religions de l’humanité. Ce d’autant plus à un moment où des segments de cette religion sont sujets à une dérive criminelle.
Gardons-nous donc d’une vision réductrice de la science et de l’innovation: «science» ne signifie pas uniquement «science empirique», et «innovation» ne coïncide pas avec «innovation industrielle». Non seulement, le CSIS n’est pas le défenseur d’une vision obscurantiste de la religion, mais il est au contraire un laboratoire de l’innovation, et ce à des coûts très contenus. Cette combinaison entre science et travail de terrain est possible, entre autres, par l’inclusion de la réflexion sur l’Islam par des musulmans eux-mêmes. Deux ans après sa fondation, le CSIS est devenu le référent critique pour une lecture de l’Islam dans notre société. En rendant un service académique à leur université, les scientifiques du CSIS rendent un service encore plus grand à la Suisse, dont la force communautaire «se mesure au bien-être du plus faible de ses membres».