24.01.2016 | RTS

Faouzia Farida Charfi, pour un islam d'aujourd'hui

Tunisienne, de culture musulmane, Faouzia Farida Charfi est physicienne et professeure à l’Université de Tunis. Nommée secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur dans le gouvernement provisoire issu de la révolution du 14 janvier 2011, elle en a démissionné peu après pour reprendre sa liberté de parole et d’action.

 

Après un premier livre en 2013, "La science voilée", elle examine aujourd’hui le Coran et les autres sources de l’islam sans préjugé ni tabou dans "Sacrées questions… Pour un islam d'aujourd'hui", paru aux éditions Odile Jacob.

 

Faouzia Farida Charfi est aujourd’hui l’invitée de Mélanie Croubalian.

 

 

"Je suis une musulmane qui veut exercer sa raison et qui veut aussi partir d'un point fondamental, c'est-à-dire des valeurs universelles. Mon point de départ est la Déclaration universelle des droits de l'homme.

 

On peut avoir une culture religieuse et considérer que la religion conçue ainsi n'est pas incompatible avec la laïcité.

 

La peur paralyse. Il ne faut pas avoir peur. La vie se présente devant nous. Elle est une occasion de magnifiques rencontres. Nous devons résister à la peur dans un monde où nous avons été tellement horrifiés par tous ces attentats. Nous ne devons pas céder à la peur et nous devons continuer à parler et nous devons considérer que nous pouvons vivre ensemble. Il faut avoir la conviction que le changement est possible même chez ceux qui sont intolérants, même chez ceux qui peuvent tomber dans la violence. C'est par notre engagement peut-être que nous pouvons convaincre, qu'il est possible d'être en accord avec les valeurs de liberté, d'égalité entre tous, entre les hommes et les femmes.

 

Ces 20 dernières années s'est répandue une idéologie islamiste qui considère que l'islam - pour eux - est incompatible avec la laïcité. C'est une idéologie que je combats. Puisque l'islam politique considère "on n'a pas besoin de constitution".

 

Je pense que l'histoire est très important pour expliquer les choses pour expliquer comment la religion musulmane s'est institutionnalisée. Comment les interdits l'ont emporté sur l'aspect spirituel de l'islam, comme dans toute religion il y a un aspect spirituel. Beaucoup d'hommes ont ce besoin de transcendance.

 

On veut faire valoir la violence, le rejet de l'autre plutôt que considérer que nous sommes ensemble pour faire avancer un monde de paix.

 

La religion est une affaire individuelle et c'est dans ce sens que l'islam politique est tout à fait en opposition par rapport à mon point de vue. La religion est une affaire personnelle, la foi n'a rien à voir avec le politique. Même lorsque je parle de culture musulmane, je pense que c'est important de lire tous ces penseurs qui sont en rupture par rapport à cet islam dogmatique, cet islam qui ne reconnait pas la liberté d'interprétation. L'ijtihad est l'effort d'interprétation qui est fondamental. Je pense que toute personne douée de raison se considère comme légitime s'il veut avoir sa propre conception de la religion. C'est une conception que je revendique.

 

Extrait d'interview de M. Mohamed Charfi (en 1999) - À propos de la charia

 

"Quand on y réfléchit bien et quand on étudie la question, en revenant aux sources, quand on étudie la confection des règles charaiques et leur évolution à travers les siècles, on se rend compte que ces règles charaiques ont été principalement posées par les hommes après la mort du Prophète. Et ça n'a été en quelque sorte codifié (pour parler en terme moderne), ça a été légiféré, et posé comme règle de droit principalement à partir du 2ème siècle de l'Héjire, c'est-à-dire longtemps après la mort du prophète. Ce qui est soutenu dans ce livre, et par d'autres avant moi, de grands auteurs,  c'est que la Charia est principalement - je ne dis pas exclusivement - une oeuvre humaine. Ce sont les notables de l'époque qui avait une couleur religieuse, c'était donc les théologiens. Ces théologiens ont posé le droit et pour le rendre obligatoire, il lui ont donné un caractère religieux, ils l'ont habillé en tant que droit religieux et ce droit a régi la société muslumane.

 

Ce droit nous avons parfaitement le droit - nous musulmans du 20ème siècle, et bientôt du 21ème siècle de réfléchir sur ce droit, de revoir comment il a été confectionné, de rétablir son caractère humain pour pouvoir le modifier.

 

Dans le Coran, il y a très peu de prescriptions juriditques. Sur plus de 6'000 versets, il y a entre 200 et 500 versets.

 

Au début Abu Hanifa qui a voulu écrire les Hadith, il n'en a recensé que 17 Hadith (dires du Prophète). Ensuite on est passé de 17 hadiths à 300 avec Ben Amber et ensuite on est passé à 40'000 actes et dires du Prophète. On est très loin de ce qui était en fait le texte coranique. C'est la source qui a inspiré par la suite le wahhabisme, au 18ème siècle. Cet islam ultra-rigoriste qui n'accepte rien ni art, ni culture, ni musique, ni philosophie, ni même construction (les marabouts) tout cela a été complètement interdit.

 

Ce que j'essaie de montrer dans mon livre "Sacrés questions", ce sont malheureusement des interdits qui nous sont venus de tout ce que les hommes ont construit petit à petit au cours des siècles y compris la question de l'image, la représentation des êtres vivants qui est interdite par tous ces textes. Alors que dans le texte coranique il y a juste un verset qui dit "Il faut s'éloigner de l'idôlatrie." C'est tout. Il n'est pas question d'image.