26.03.2015 | Par Emmanuel Gehrig

L'islam est-il malade?

Un passionnant livre d’entretien avec Abdelwahab Meddeb, penseur réformiste de l’islam, donne à réfléchir sans tabou sur l’avenir d’une religion et d’une culture magnifique, mais dominée par un conservatisme étroit.

 

«L’islam doit accepter toutes les critiques, mêmes les plus attentatoires.» Celui qui parle n’est pas un élu FN, un islamophobe primaire, mais un des plus brillants penseurs de l’islam contemporain: Abdelwahab Meddeb, dont on peut découvrir la profondeur de vues dans un passionnant livre d’entretien, Face à l’islam, paru il y a dix ans et réédité cette année après les attentats de Paris. Un livre qui reste parfaitement actuel.

 

L’islam doit-il être réformé? Est-il compatible avec la république? A ces questions qui font désormais partie du rituel médiatique, Abdelwahab Meddeb répond calmement, sans parti pris, empruntant la route exigeante de l’histoire et de l’anthropologie, puisant aussi dans son histoire personnelle.

 

Entre Orient et Occident

 

Ce poète, essayiste et romancier, mort hélas en novembre 2014, revendiquait une «double généalogie» qui affûtait son regard, aussi tendre que sévère, sur l’islam. Ses racines plongeaient à Tunis, où il a grandi – la Tunis des années 1950, encore médiévale, avec ses ruelles étroites, où le soir des conteuses racontaient les Mille et une nuits. Son héritage critique, il l’a acquis à la Sorbonne, en lisant les penseurs qui, des Lumières à Nietzsche et Freud, se sont débarrassés de l’emprise religieuse sur la pensée.

 

Aujourd’hui l’islam est «malade» – un mot fort –, rongé par «l’intégrisme diffus», qui a transformé une culture millénaire en un programme politique, et dont Tariq Ramadan est, à ses yeux, une figure de proue. Cet islam-là, dont les franges les plus radicales agressent parfois l’Occident de manière spectaculaire, fait bien plus de mal dans les pays musulmans: Abdelwahab Meddeb parle de «mort anthropologique» des sociétés musulmanes, en d’autres termes la destruction de la diversité des pratiques et des croyances qui prévalaient autrefois dans la cité d’islam au profit d’une terrifiante uniformisation. Qu’ils paraissent loin, les salons de Bagdad du IXe siècle qui conviaient chrétiens et juifs au partage des idées, et la brillante Cordoue, face aux conservateurs étriqués qui réduisent l’islam au djihad, à la soumission des femmes, à des califats imaginaires, à une pureté qui n’a jamais existé.

 

Admirateur éperdu d’Averroès et d’Ibn Arabi, Abdelwahab Meddeb se désole de la «régression spectaculaire» de l’islam, mais il ne perd pas espoir de le voir un jour apporter au monde ce qu’il a de plus beau, comme la poésie et l’architecture. Encore faut-il que l’islam puisse s’émanciper d’un interdit très fort autour de l’innovation «dangereuse» (bid’a), qui selon Meddeb a toujours pesé sur son destin. «L’islam, dit-il, attend son Spinoza pour l’initier au libre examen des écritures.»

 

Lui-même n’était-il pas l’incarnation de cet islam universel? «L’islam, disait encore Meddeb, n’a jamais été aussi intelligent et aimable depuis que je le perçois comme trace, dans la distance de la séparation, à partir de la scène du dépassement.»

 

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