À Monsieur Zoubir FERROUKHI journaliste du quotidien Liberté
Cher ami,
Je vous remercie de l'honneur que vous nous faites en ouvrant les colonnes de votre journal pour répondre aux questions que vous avez eu l'obligeance de m'envoyer.
J'essayerai dans la mesure de mes possibilités avec l'aide de Dieu de répondre avec sincérité et honnêteté dans la mesure de mes connaissances et de mes moyens.
Avec mes cordiales et fraternelles salutations et tous mes vœux de paix et de sérénité en ce mois béni de ramadan.
Vous m'interrogez sur mes actions sur le dialogue interreligieux et mes encouragements aux initiatives de paix; et si cela s'inscrit dans la mission d'un cheikh de la tariqa alawiyya et quel est le sens de ses actions ?
Je voudrais avant de répondre à cette question, étendre la réflexion sur le pluralisme religieux dans le Coran, les actions et le comportement du prophète (ssp) envers les autres communautés religieuses de son époque et citer enfin des faits de figures marquantes dans l'islam pour asseoir les fondements qui justifient ou qui ont justifié depuis le début de l'islam jusqu'à aujourd'hui le pluralisme et le dialogue interreligieux : fondements de la théologie et des implications éthiques dans l'influence directe sur la paix et la cohabitation entre les personnes de différentes communautés religieuses.
a. La pluralité dans le Coran :
C'est dans le livre sacré, le Coran, que se trouve la base textuelle qui permet une interprétation pluraliste et dément l'exclusivisme justifié par certains musulmans. Ces versets sont :
• Certes, ceux qui ont cru, ceux qui ont adopté le judaïsme, les chrétiens, les sabéens, quiconque parmi eux a cru en Dieu, au Jugement dernier et a pratiqué le bien trouvera sa récompense auprès de son Seigneur et ne ressentira ni crainte ni chagrin. S2.V62
• En vérité, ceux qui ont cru, ainsi que les juifs, les sabéens et les chrétiens, ceux qui ont cru en Dieu, au Jugement dernier et qui ont fait le bien, seront préservés de toute crainte et ne seront point affligés. S5.V69
• Certes, ceux qui croient, ceux qui pratiquent le judaïsme ainsi que les sabéens, les chrétiens, les zoroastriens et les polythéistes, Dieu les départagera le jour de la Résurrection, car Il est Témoin de toute chose. S22.V17
Ces trois versets sont de la période médinoise et comme tel ils font partie des dernières révélations reçues par le prophète. Ils demeurent toujours valables et ils n’ont subi aucune abrogation (Naskh). Car dans le droit islamique (ilm al fiqh) la définition de l’abrogation est claire : elle ne touche que les thèmes purement juridiques qui abordent les affaires pratiques relevant du statut de la personne. Pourtant certains, s’appuyant sur le verset de l’épée S9 :
« A l’expiration des mois sacrés, tuez les polythéistes partout où vous les trouverez ! Capturez-les ! Assiégez-les ! Dressez-leur des embuscades ! S’ils se repentent, s’ils accomplissent la salât, s’ils s’acquittent de la zakât, laissez-les en paix, car Dieu est Clément et Miséricordieux »
veulent abroger tous les versets qui tendent et invitent à l’ouverture aux autres religions par une lecture fragmentaire et tendancieuse sous le prétexte que tout ce qui était appliqué avant l’islam devient caduque à partir de ce verset. D’où la fameuse question de l’annulation des lois pré-coraniques (charaa’ man qâblana). Salman al-Farissi interroge le prophète Mohammed (ssp) sur le sort réservé dans l’au-delà aux moines et aux ascètes qu’il a connus avant son islam. L’envoyé lui répond qu’avant la révélation de l’islam cette forme de religiosité était acceptée mais que maintenant elle n’a plus raison d’être. Or le V62 S2 (voir plus haut) qui lui a été révélé juste après cet événement est clair. La promesse du salut est pour tous ceux qui croient en Dieu et le jour dernier et qui accomplissent le bien. Ils seront récompensés et n’auront aucune crainte le jour du jugement dernier. Car la doctrine coranique affirme que l’islam est la continuité du même message adressé à l’humanité avant lui S35.V24 :
« Nous t'avons envoyé, en toute vérité, en tant qu'annonciateur et avertisseur. Et il n'est pas un peuple qui n'ait déjà eu un prophète pour l'avertir »
et que le prophète ne s’est jamais présenté comme le fondateur d’une nouvelle religion mais comme le continuateur de la religion pérenne et immuable proclamée par tous les prophètes avant lui. Et que la différence dans le verset entre ceux qui ont cru (al mouminoun) et les trois groupes cités après concerne principalement ceux qui ont cru dans le message mohammadien mais n’exclut pas pour autant ceux qui croient dans les révélations antérieures. Et que le statut et la définition des gens du Livre (ahl kitab) n’a rien de péjoratif ou réducteur. C’est au contraire un rappel aux valeurs et aux origines communes partagées entre les différentes branches des religions abrahamiques. Ce que le Coran appelle la hanifiyya :
« Pourtant, que leur a-t-on ordonné, si ce n’est de se vouer exclusivement au culte de Dieu, d’accomplir la salât et de s’acquitter de la zakât, selon les principes de la religion de la droiture? » S98.V5.
D'autre part, le Coran nous met en garde contre l'exclusivisme doctrinal qui porte en lui les germes potentiels de violence qui peuvent se traduire et s'exprimer par des formes religieuses destructives. Dans la S16.V92-94, Il dit :
« Ne faites pas comme cette femme qui défaisait la laine qu’elle avait soigneusement filée, en faisant de vos serments un moyen de vous tromper les uns les autres, sous prétexte que tel groupe est plus puissant que tel autre. Dieu ne fait que vous mettre à l’épreuve ici-bas ; mais, le Jour de la Résurrection, Il vous indiquera clairement les vraies raisons de vos divergences. Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté. Mais Il égare qui Il veut et met sur la voie qui Il veut ; et vous aurez certainement à rendre compte de toutes vos actions. Ne faites pas de vos serments un moyen de vous tromper les uns les autres, sinon vos pas glisseront après avoir écarté les hommes de la Voie de dieu. Et un châtiment implacable vous sera infligé ».
Il nous met en garde à se servir de la foi comme moyen d'éloigner les gens du sentier de Dieu dans une compétition négative par un exclusivisme qui s'approprie à lui seul toute la Vérité. Et précise dans la S5.S46-V48 :
« Nous envoyâmes, à leur suite, Jésus, fils de Marie, qui vint confirmer le contenu de la Thora précédemment révélée. Nous le dotâmes de l'Évangile qui est à la fois un guide et une lumière corroborant la Thora et servant en même temps de direction et d'exhortation pour ceux qui craignent le Seigneur. Que les gens de l'Évangile jugent donc d'après ce que Dieu y a révélé ! Ceux qui ne se conforment pas, dans leur jugement, à ce que Dieu a révélé, ceux-là sont des pervers. À toi aussi Nous avons révélé le Coran, expression de la pure Vérité, qui est venu confirmer les Écritures antérieures et les préserver. Juge donc entre eux d'après ce que Dieu t'a révélé. Ne suis pas leurs passions, loin de la Vérité qui t'est parvenue. À chacun de vous Nous avons tracé un itinéraire et établi une règle de conduite qui lui est propre. Et si Dieu l'avait voulu, Il aurait fait de vous une seule et même communauté ; mais Il a voulu vous éprouver pour voir l'usage que chaque communauté ferait de ce qu'Il lui a donné. Rivalisez donc d'efforts dans l'accomplissement de bonnes œuvres, car c'est vers Dieu que vous ferez tous retour, et Il vous éclairera alors sur l'origine de vos disputes.»
Là encore le message coranique clarifie le débat en montrant que la volonté divine ne souhaite pas une seule communauté mais au contraire elle affirme et reconnait la diversité tout en mettant la compétition entre les hommes vers l’action du bien. Pourquoi le Coran confirme-t-il ceux dont Il déclare la fausseté et l’altération diront certains ? Quand Il dit dans la S5V48 :
« À toi aussi Nous avons révélé le Coran, expression de la pure Vérité, qui est venu confirmer les Écritures antérieures et les préserver ».
Dans ce sens, le Coran reconnait la validité des textes sacrés mais se considère comme une autorité élevée et prédominante pour les protéger et les conserver. Encore une fois le Coran souligne le pluralisme :
« À chacun de vous Nous avons tracé un itinéraire et établi une règle de conduite qui lui est propre ».
Pourtant, le Coran dans la S3V19 dit que :
« La vraie religion pour Dieu, c'est l'islam (soumission). Et si les gens des Écritures se sont divisés entre eux, c'est uniquement par pure jalousie, après que la science leur fut donnée. Que celui donc qui renie les signes de Dieu sache que Dieu est prompt dans Ses comptes »
et affirme que la religion de Dieu est la soumission (islam). Cette affirmation semble exclure toutes les autres religions qui ont précédé la révélation mohammadienne. Pourtant le prophète Mohammed (ssp) ne s'est jamais proclamé le fondateur de l'islam mais tout simplement le dernier prophète envoyé à l'humanité toute entière, clôturant ainsi le cycle de la révélation prophétique à l'humanité. Tous les prophètes avant lui selon le Coran ont apporté le même message celui de la soumission à Dieu ou de l'abandon confiant à Lui. Ils ont tous prêché la foi dans le Dieu Unique et l'absolue unicité divine (al tawhid). Et la S3.V84-85 de préciser :
« Dis : nous croyons en Dieu, à ce qu'Il nous a révélé, à ce qu'Il a révélé à Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob et aux Tribus ; à ce qu'ont reçu de leur Seigneur Moïse, Jésus et les prophètes. Nous ne faisons aucune distinction entre eux, et c'est à Dieu que nous nous soumettons. Quiconque recherche en dehors de l'islam une autre religion, celle-ci ne sera point acceptée de Lui ; et dans l'autre monde, il sera du nombre des réprouvés. »
A la lumière de ce verset, il en découle que l'islam est un état d'être, un abandon confiant à la volonté de Dieu et pas la justification d'une fermeture exclusiviste. Et nous comprenons aussi pourquoi le prophète a dit : « La religion s'est construite sur trois principes : la soumission (islam), la foi (al Imane) et l'excellence (al ihssan) » donc un cheminement progressif et une adhésion volontaire pour que l'homme réalise le dessein divin qui n'est autre que la fonction de Khalifa, le vicaire de Dieu sur terre. Nous sommes loin de la réduction à laquelle est soumise aujourd'hui la parole divine.
b. Les actions et le comportement du prophète (ssp)
Quant à la Sira' nabawiyya qui relate les paroles, les faits et les gestes du prophète, ainsi que l'histoire de la première communauté musulmane, elle nous invite à relire les événements et à en tirer les leçons quant aux rapports des musulmans avec les autres communautés. Depuis le début de sa mission et jusqu'à son rappel à Dieu, le prophète (ssp) n'a cessé de dialoguer, d'œuvrer et de rassembler tous les hommes sans exception autour du principe fondateur de l'islam : al tawhid. Les onze premières années de son apostolat à la Mecque et ses alentours a'taif etc...furent tous consacrés à appeler et à exhorter les siens et tous les hommes à la Vérité, à l'immanence et la transcendance du Dieu unique de toute la création. Les agressions et les contraintes auxquelles dut faire face le prophète et la communauté musulmane obligèrent une partie de ses compagnons à immigrer, quitter leur patrie la Mecque pour aller en Ethiopie où ils trouvèrent refuge auprès du roi chrétien le négus (anajjachi). Qui, malgré les demandes répétées des koraiches de les renvoyer, a donné asile aux musulmans. Inaugurant ainsi le premier dialogue entre l'islam et le christianisme africain. On dit qu'à la lecture de la sourate de Marie les larmes coulèrent des yeux du roi. Le Coran S3.V113-115 :
« Cependant, les détenteurs des Écritures ne sont pas tous les mêmes, car parmi eux il y a une communauté pieuse dont les membres passent des nuits entières à réciter les versets de Dieu et à se prosterner. Ils croient en Dieu et au Jour dernier ; ils ordonnent le Bien, réprouvent le Mal et s'empressent d'accomplir de bonnes œuvres. Ceux-là sont au nombre des justes. Quelque bien qu'ils fassent, il ne leur sera pas dénié, car Dieu connaît bien ceux qui Le craignent. »
nous rappelle qu'il ne faut jamais formuler un jugement généralisé vis-à-vis des autres religions et qu'il y a parmi les gens du Livre (ahl kitab) des pieux qui prient et adorent Dieu, interdisent le blâmable et concourent et œuvrent pour le bien. A la nouvelle du décès du négus, le prophète réunit ses compagnons à Médine pour la prière mortuaire de l'absent en souvenir de l'accueil qu'il a fait aux musulmans.
En l'an 1 de l'hégire, réunissant toute la communauté de Médine, musulmans et non musulmans, il a proclamé l'acte fondateur de la première cité islamique donnant naissance à la Oumma, marquant ainsi le pacte religieux et politique qui unissait tous les habitants pour le meilleur et le pire. Cette allégeance au prophète (ssp) par tous les représentants des tribus y compris les tribus juives qui habitaient Médine et ses alentours pour un même destin à savoir vivre en paix et apporter aide et mutuelle assistance (voir la constitution de Médine en P.J).
En l'an 5 de l'hégire, c'est autour des chrétiens de la ville de Najran au sud de l'Arabie de venir signer le pacte avec le prophète avec une délégation de 70 personnes à leur tête l'évêque de leur communauté (voir la lettre du prophète aux évêques et chrétiens najrânites en P.J). Durant leur séjour, ils voulurent célébrer la fête de la Pâques. Ils demandèrent au prophète un lieu pour leur célébration. L'envoyé de Dieu leur répondit que le meilleur endroit est la maison de Dieu : la mosquée du prophète. Peut-on aujourd'hui évaluer les conséquences d'un tel acte ? Tous ces faits sont exacts et toute personne peut les vérifier. Ils sont rapportés fidèlement par les historiens musulmans. Je pourrais aussi rajouter que la première personne qui reconnut le prophète alors enfant accompagnant son oncle dans une caravane vers la Syrie fut un moine chrétien nommé Bahira et que l'oncle de sa femme Khadija (Waraka Ibn Nawfel) un hanife chrétien fut le premier à lui confirmer que ce qu'il recevait n'était autre que le namous, la révélation que recevait les prophètes avant lui. Nous pouvons continuer à énumérer beaucoup de faits et de gestes du prophète (ssp) qui nous exhortent et nous convient aux dialogues et à la discussion en conformité avec le principe coranique : « ne polémiquez avec les gens du Livre qu'avec la meilleure manière » et le prophète a dit : « les prophètes sont comme les enfants d'un même père et de mères différentes ». Le mot père nous renvoie à l'idée que tous viennent de Dieu, quant aux mères, elles évoquent les époques historiques différentes de leurs messages.
c. Les faits de figures marquantes dans l'islam
A l'instar du prophète, des hommes ont incarné la droiture, la justice comme la vérité morale libre de toute considération sociale, raciale ou culturelle. Ils nous rappellent qu'il y a un grand fossé entre l'islam mohammadien authentique et un islam fanatique et perverti dont l'ignorance ou les intérêts justifient les crimes et les débordements, oubliant que le Coran proclame ouvertement S5.V32 : Voilà pourquoi Nous avons édicté cette loi aux fils d'Israël :
« Quiconque tue un être humain non convaincu de meurtre ou de sédition sur la Terre est considéré comme le meurtrier de l'humanité tout entière. Quiconque sauve la vie d'un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l'humanité tout entière ! »
Malgré les multiples et irréfutables preuves qui leur furent apportées par Nos prophètes, beaucoup d'entre eux n'en continuèrent pas moins à commettre des excès sur la Terre. Je prendrai comme premier exemple le père fondateur de la nation algérienne l'Emir Abdelkader qui prit à Damas sous sa protection la communauté chrétienne et européenne lors des émeutes de juillet 1860. Il permit à plus de 12000 chrétiens d'échapper au massacre et face à une foule déchainée, il s'interposa au péril de sa vie et lui cria : « les religions et en premier chef l'islam sont trop nobles et trop sacrées pour être un poignard d'ignorance ou une faucille d'aliénation ou des cris vulgaires... je vous mets en garde de vous laisser entraîner par le diable de l'ignorance ou qu'il ait une emprise sur vos âmes ». Plus encore, voyant la menace de la foule grandir, il prononça une phrase décisive : « je ne livrerai pas un seul chrétien, ce sont mes frères, retirez-vous ou je donne à mes hommes l'ordre de faire feu ». Par ses mots « ce sont mes frères » Abdelkader voulait signifier à la foule qu'il se rangeait impérativement du côté du droit et de la justice quand les circonstances l'exigent et qu'il ne pouvait se permettre en tant que musulman le massacre d'innocents malgré les liens religieux qui le liait à ses coreligionnaires.
Malgré tout ce qu'il a enduré de la part de ses adversaires français qui mettaient à feu et à sang son pays et les siens, malgré la promesse trahie de le laisser partir vers l'orient et l'épreuve de son exil et de son emprisonnement avec sa famille et ses proches en France, l'Emir sans rancune donna au monde une leçon de fraternité adamique qui reste dans l'histoire un acte d'amour noble et désintéressé. Il le fait comme il le dit par sa fidélité à sa foi et aux lois de l'humanité. A ceux qui lui adressaient des lettres pour la noblesse de son attitude, il répondait : « Ce que nous avons fait de bien avec les chrétiens, nous nous devions de le faire par fidélité à la foi musulmane et par respect aux lois de l'humanité. Car toutes les créatures sont la famille de Dieu, et les plus aimés de Dieu sont ceux qui sont le plus utiles à sa famille. Toutes les religions apportées par les prophètes depuis Adam jusqu'à Mohammed reposent sur deux principes : l'exaltation de Dieu Très Haut et la compassion pour ses créatures ».
Je pourrais citer encore Salah Eddine al Ayoubi qui face aux croisés qui venaient pour conquérir Jérusalem après la sanglante bataille envoya son médecin pour guérir le roi franc Saint Louis et un cheval pour remplacer celui qu'il venait de perdre durant la bataille. Ou cet Emir Andalou qui fit demi-tour avec son armée parce que la femme de son adversaire chrétien lui cria du haut des remparts : « mon mari est parti pour vous combattre avec ses hommes, je suis seule avec quelques gardes au château. Voudriez-vous livrer bataille à une femme sans défense ? »
Ou de Omar Ibn al Khattab le deuxième khalife de l'islam qui refusa de prier lors de sa visite à Jérusalem dans l'église du Saint Sépulcre. Voyant la mine réprobatrice des ecclésiastiques il leur dit que si le Khalife de l'islam faisait sa prière à l'intérieur de l'église, les musulmans imiteraient son geste et viendraient prier à la place où il l'aurait fait et ce lieu leur serait pris et converti en mosquée. Ils comprirent alors le geste du Khalife al mouminin, qui, loin de considérer ce lieu comme impur à la prière, avait voulu le préserver pour qu'il demeure un lieu chrétien.
La mosquée des Omeyyades à Damas qui durant 70 ans fut partagée entre chrétiens et musulmans pour la prière a été à l'origine un temple romain dédié à Jupiter puis une cathédrale abritant la dépouille du prophète Yahya (ssp) et qu'elle ne redevint mosquée qu'au temps de l'Emir Abd al-Malik Ibn Marwan (685-705) après avoir été achetée par les musulmans aux chrétiens.
Je pourrais citer des milliers de faits tout aussi nobles les uns que les autres qui nous invitent tous à considérer le message universel de l'islam et les valeurs qu'il transmet.
Vous comprendrez peut-être le sens du combat que nous menons au quotidien en tant que musulman croyant en ces valeurs pour changer l'image déplorable et les torts qui sont faits à cette noble religion. Bien sûr, l'actualité médiatique ne valorise pas le dialogue religieux et interculturel.
Neuf ans après, nous vivons encore sous l'emprise du 11 septembre 2001 avec la destruction suicidaire des tours jumelles de New-York.
La guerre injuste et préfabriquée en Irak justifiant le prétendu choc des civilisations est considérée par certains comme une guerre confessionnelle. Un amalgame entretenu dont les premiers à souffrir sont les irakiens musulmans sunnites et chiites ainsi que les chrétiens.
Le conflit israélo palestinien, blessure ouverte depuis plus de soixante ans, une honte pour les responsables politiques du monde de quelque religion qu'ils soient. Et tant que justice ne sera pas faite à ce peuple martyre, le monde ne pourra trouver la paix et l'entente.
L'Afghanistan, la Tchétchénie etc.... tous ces conflits perturbent et découragent le dialogue. Mais pourtant, sans dialogue il n'y aura nulle paix entre les hommes, il est un défi majeur pour l'avenir.
Un engagement personnel et collectif est nécessaire pour répondre aux maux et aux souffrances d'une grande part de l'humanité. Il est un style, une façon de vivre, une attitude de l'esprit qui accueille et respecte l'autre dans sa dignité, son identité, son expression propre et les valeurs spirituelles et religieuses auxquelles il est rattaché. Il est un comportement au quotidien qui nous oblige à corriger, à freiner nos ardeurs, à remettre en cause nos préjugés, nos stéréotypes et nos jugements en porte à faux sur nos semblables. Il nous apprend à nourrir notre conscience dans le sens de la fraternité humaine, de la découverte de l'autre et de soi-même car l'autre est notre miroir qui reflète nos qualités et nos défauts. Il nous interroge enfin sur la réalité de notre propre humanité et du vécu de notre intériorité. Quelle place, quel sens donnons-nous au message religieux dont nous nous proclamons ? Quelle générosité, quel amour sommes-nous capable de partager avec notre prochain ? Un sage a dit : « beaucoup d'entre nous quittent la vie sans avoir créé, aucun ne meurt sans avoir détruit ». Faisons le bilan honnêtement de notre vie pour voir quelle action créatrice porteuse d'espérance nous avons été capables de réaliser et de transmettre après notre mort.
Cheikh Khaled Bentounes
16 novembre 2010